NOTES

 

Hugo tient ici pour acquise une donnée que Pierron discute longuement et certains de ses arguments sont simplement mis par Hugo dans la bouche des jeunes gens.

Le char aîlé mentionné devient l'objet d'une des critiques des vieux « classiques ».

Les lignes du même texte rapportant l'effet abortif de l'entrée des Furies ont été employées au chapitre précédent.

On met en gras, pour la commodité, les passages employés -et souvent détournés- par Hugo.

« Il y a, dans le chapitre quatrième de la Poétique d'Aristote, quelques mots que je traduis littéralement: « Eschyle, le premier, diminua les choses du choeur. » Il s'agit là, selon certains critiques, du nombre des personnages du choeur, qui aurait été réduit de cinquante à quinze, en vertu d'une loi. C'est à propos des Euménides que la loi aurait été portée; et c'est Eschyle qui, le premier, s'y serait soumis.

Cette interprétation est loin d'être aussi satisfaisante qu'elle le paraît au premier abord.

C'est chez le lexicographe Pollux que nous apprenons qu'une loi sur le nombre des personnages du choeur fut portée à l'occasion des Euménides. Il conte, en effet, qu'à l'instant où les Furies parurent sur la scène, avec leurs masques où la pâleur était peinte, avec leurs torches à la main et leurs serpents entrelacés sur la tête; que, quand elles formèrent, après la fuite d'Oreste, leurs danses infernales, et qu'elles poussèrent leurs cris sauvages, l'effroi s'empara de toutes les âmes, des femmes avortèrent, des enfants expirèrent dans les convulsions. On peut admettre, avec Auguste Boeckh, l'authenticité de cette histoire; on peut, avec des savants dont l'autorité est d'un grand poids, la rejeter comme une de ces exagérations dont ne se faisaient pas faute les écrivains des bas siècles, et ne pas refuser d'admettre que les femmes et les enfants assistaient à la représentation des tragédies. Mais qu'une loi comme celle dont parle Pollux ait été portée, et surtout qu'elle ait été mise à exécution, c'est ce qui me parait presque impossible. En tous cas, Eschyle n'a pas obéi à cette absurde loi; et, par conséquent, ce n'est point par là qu'il a mérité ce qu'Aristote aurait dit de lui. Il n'a point obéi à la loi, parce que Les Euménides sont une des dernières tragédies qu'il ait composées, et que les seules qu'on puisse avec quelque probabilité placer à la suite, ce sont les trois pièces qui formaient la trilogie dont faisaient partie Les Suppliantes. Or, dans Les Suppliantes, le choeur avait certainement cinquante personnages, les cinquante filles de Danaüs: je ne parle pas de leurs suivantes, elles ne comptent pas dans le choeur. Boeckh a épuisé, pour prouver le contraire, toutes les ressources de son esprit, toute la subtilité de ses arguments; mais on peut affirmer que ni lui ni son ami Conrad Schneider, dont il invoque le témoignage, n'ont jamais persuadé à un homme de bon sens qu'Eschyle n'avait mis sur la scène, dans Les Suppliantes, que quinze Danaïdes. C'est faire injure à la fois et au poète et à ses auditeurs. Eschyle appelle Égyptus le père aux cinquante fils. Ces cinquante amants poursuivent les filles de leur oncle; chacun d'eux a sa fiancée: tous les mythologues l'ont dit, tous les poètes l'ont chanté, tout le monde le sait dans la Grèce; et voilà un poète qui leur enlève, de sa pleine et privée autorité, les deux tiers et plus de leurs amantes! et voilà un public qui contemple de sang-froid une telle impertinence, qui y applaudit, qui même a forcé le poète à cet inconcevable mensonge ! Mais alors comment, à ce compte, Eschyle s'en était-il tiré dans Les Danaïdes, où sans doute Égyptus, le père aux cinquante fils, avait vu leur hymen, et où les filles de Danaüs étaient en présence de leurs cinquante époux? il faut avouer que si la haute critique, comme l'appelle Boeckh, est une bien belle chose, c'est aussi quelquefois une chose bien étrange.

Il n'est pas moins inadmissible que le choeur, avant la promulgation de la loi, ait toujours, été de cinquante personnes. Il est impossible que, dans le Prométhée, le char ailé qui apporte à travers les airs le choeur tout entier en ait contenu, je ne dis pas cinquante, mais même quinze; tandis que, dans Les Sept contre Thèbes, le nombre cinquante n'a pas dû suffire pour représenter toutes les femmes et toutes les jeunes filles de la cité. Remarquons, en passant, que la scène où se jouaient les tragédies d'Eschyle n'avait rien de commun avec ces étroites cages où nous voyons quelques malheureux figurants représenter à nos yeux tout un peuple, toute une armée, et où chacun d'eux, pour les besoins du service, doit toujours se tenir prêt à dire: Je m'appelle légion. L'étendue de la scène était proportionnée à l'étendue de l'amphithéâtre; et l'amphithéâtre pouvait contenir une portion considérable de la population d'Athènes. Je ne dis rien des Perses ni de l'Agamemnon. On peut, sans nul inconvénient, admettre que le nombre cinquante convenait à merveille au choeur de la première pièce, et que le choeur de la seconde se composait de quinze vieillards seulement, comme l'indique un vieux scholiaste, et comme tous les critiques le pensent aujourd'hui. Je reviens à la phrase d'Aristote. Ce que l'auteur de la Poétique a voulu dire, c'est qu'Eschyle réduisit les développements lyriques du choeur; et, pour qui connaît l'histoire de la tragédie, rien ne paraît plus probable.» (ouvrage cité, p. XXVII-XXIX.)